06 février 2009

Antennes-relais : la justice contre la science ?

L'analyse de Martine Perez, rédactrice en chef chargée du service Science-médecine du Figaro.fr..

Mercredi, Bouygues Telecom a été condamné par la cour d'appel de Versailles à retirer une antenne-relais située à proximité d'habitations à Tassin-la-Demi-Lune dans le Rhône, au motif de «l'angoisse ressentie » par les familles avoisinantes. Ce jugement confirme celui du tribunal de grande instance de Nanterre de septembre 2008 qui avait déjà condamné l'opérateur de téléphonie «au nom du principe de précaution».

Ces décisions, très étonnantes au demeurant pour les scientifiques spécialisés, soulèvent de nombreuses questions, et pourraient avoir des répercussions en cascade. Les antennes-relais captent des signaux électromagnétiques et les retransmettent à leur tour. Sans ces émetteurs-récepteurs, la téléphonie mobile ne serait pas possible.

Selon plusieurs experts, les champs électromagnétiques induits par les antennes-relais sont du même ordre de grandeur que ceux de la télévision ou la radio, que les populations supportent depuis plus de cinquante ans sans crainte, sans risque, sans danger et sans protestation, à peu près partout dans le monde. Il y a eu des rapports scientifiques en France, en Europe, aux États-Unis. Il y en a même eu un réalisé par l'Organisation mondiale de la santé. Tous concordent. Ils affirment que les antenne-relais n'ont pas d'effets nocifs sur la santé.

À titre de comparaison, les téléphones portables, dont les dangers éventuels sont l'objet de débats scientifiques intenses, émettent entre mille et dix mille fois plus d'ondes électromagnétiques que les antenne-relais. Pourquoi la justice a-t-elle alors donné raison à deux reprises aux plaignants ? La première fois, en septembre 2008, c'était au titre du « principe de précaution », et du fait que la preuve de l'innocuité totale des antennes-relais « n'avait pas été apportée par les scientifiques ».


Certes, le principe de précaution est inscrit dans la Constitution depuis 2004. Son interprétation peut être très large. Mais, pour les scientifiques, il ne peut être évoqué que devant un faisceau d'arguments précis. Le principe de précaution n'a pas vocation à être agité en l'air de manière gratuite, comme une sorte de parapluie que l'on ouvrirait en cas de crise, en guise de réponse à une question dérangeante. Par ailleurs, s'il n'a jamais été démontré que les antenne-relais étaient dangereuses, la preuve de leur innocuité n'a pas été apportée non plus : il est quasiment impossible de démontrer qu'un risque n'existe pas…

Mercredi, la cour d'appel, elle, pour justifier sa décision a évoqué «le ressenti des familles », face à l'angoisse provoquée par ces antennes-relais. Mais pourquoi ces familles sont-elles angoissées par les antennes-relais, alors que les rapports scientifiques sont rassurants ? Si leur crainte n'avait pas de base rationnelle, la justice vient en tout cas de la conforter. Si dans votre appartement fermé à clé, votre enfant le soir au lit dans le noir a peur du loup et que vous lui donnez raison, il a peu de chance de recouvrer sa tranquillité.

Il semble que la justice dans cette affaire a mieux entendu le battage de certaines associations dénonçant depuis plusieurs années les dangers des antenne-relais que les scientifiques spécialisés dans les questions d'environnement comme le professeur Denis Zmirou (et bien d'autres d'ailleurs), qui engagent leur responsabilité en ayant le courage d'affirmer qu'il n'y a aucun risque établi avec ces antennes. La société médiatique donne parfois autant d'audience à des électrons libres qui jouent avec les peurs des populations qu'à des experts scientifiques reconnus.

On se demande, dans un tel contexte, ce qui pourrait bien empêcher d'autres personnes, qui «ressentent» sans doute très sincèrement les antennes-relais comme une menace, de porter plainte à leur tour contre des opérateurs de téléphonie.